J’inaugure ma section blogue en vous présentant Véro, qui a accepté de faire partie de ma série sur le travail (Merci merci !). Véro, qui était technicienne de labo dans un atelier d’effets spéciaux, est présentement dans une période de transition importante : elle change de carrière et part étudier à Grande-Rivière pour devenir aquariste.
J’ai choisi de la présenter en pleine création dans son atelier. Et comme dans tous les tableaux de cette série, j’ai incorporé du symbolisme propre au tarot, soit les pentacles (cartes associées à l’argent, au travail, au monde matériel). Véro quitte un domaine qui la passionne par nécessité, pour aller vers quelque chose de nouveau. J’ai donc cherché à créer une ambiance nostalgique dans le tableau.
Je la laisse vous raconter son histoire :
“L’année dernière, il m’est arrivé quelque chose. Je travaillais comme technicienne de labo dans un atelier d’effets spéciaux. Job de rêve, vraiment. On bossait sur des films internationaux, des gros trucs. Je travaillais avec des artistes hors-pair, qui alimentaient ma soif d’apprentissage chaque jour. Je m’appliquais à toujours apprendre une autre technique, une nouvelle façon de faire. J’avais obtenu la reconnaissance des mes collègues et je me sentais appréciée au boulot. Je devenais chaque jour une meilleure lab tech, une meilleure mouleuse, une meilleure sculpteure, une meilleure peintre.
Bref, j’aimais ça, tsé. Sauf que des fois les horaires deviennent un peu intenses. Au printemps dernier, on était sur un gros contrat avec un échéancier pas de classe, là: moins de trois mois pour livrer 6 mois de job, genre. Y a plein de monde à l’atelier, c’est super effervescent, on fait des journées de 10-12 heures, 6 jours semaine, pis si tu peux rentrer le dimanche, ça serait donc le fun.
Je sais très bien que je n’ai pas le genre d’énergie nécessaire pour garder un tel rythme longtemps. Je suis une pas pire sprinteuse, mais je survis mal aux marathons. En gros, c’est dû à une incapacité à récupérer. Pensez forme relativement bénigne de fatigue chronique.
Je gère relativement bien, normalement. Je ris/pleure en travaillant de temps à autre, les habitués rigolent du malaise des nouveaux, qui s’habitueront à leur tour suite à mes explications loufoques et que je les eusse rassurés de ma position face à mes problèmes de fuite oculaire: c’est correct, gang, des fois je coule, mais je vais bien, je suis un ninja dans un fatsuit, et c’est mon costume qui n’est plus sur la garantie.
Je garde donc le sourire. Jusqu’à ce que ça arrive. Jusqu’à ce que la douleur commence. Au niveau des poignets. J’échappe des outils. Les chocs électriques se multiplient. Rapidement, ça me fait mal jusque dans les épaules, jusqu’à la base du crâne. Chaleur, glace, advil, tout y passe, et je fonce jusqu’à la fin du projet. Je prends alors 3 semaines de vacances plus que méritées. Je vois mon massothérapeute et une osthéopathe. La douleur se calme. Je retourne au travail. Mais le moteur, lui ne repart pas. La douleur revient, foudroyante. En juin, je suis forcée de prendre un congé. En juillet je passe un test pour confirmer que je souffre du syndrome du tunnel carpien au deux poignets, et que j’ai probablement des tendinites par dessus le tout.
Je confirme aussi avec mon médecin de famille un nouveau burnout. En étudiant mon dossier, on se rend compte que c’est mon 6ème diagnostic de dépression majeure. Ça, c’est sans compter les fois où je ne me suis pas présentée chez le doc, et que j’ai tout simplement ralenti mes activités ou pris congé entre deux contrats. Les fois ou j’ai dû refuser du travail parce que je ne me sentais pas assez bien pour réussir, ou toutes les fois où j’ai dû prendre des contrats que je savais que je ne devrais pas faire car ma santé était précaire, mais que j’ai tout de même faits parce qu’il fallait payer mon loyer, ce qui aggravait mon état de santé. Bref, ça va pas super bien.
Je me retrouve en septembre avec un diagnostic d’anxiété avec manie, sur le naproxen, les antidépresseurs et anxiolitiques, et un compte de banque presque vide.
Je fais quelques contrats à gauche et à droite, au mieux que mes mains et ma tête me le permettent, mais ça n’est pas suffisant et mes parents m’aident à payer mon loyer et à me nourrir en complétant mon budget, ce qui met un pas pire trou dans le leur.
La décision n’est pas difficile à prendre. Ça faisait un bout déjà que j’y songeais, et j’aurais tant aimé pouvoir faire la transition de mon plein gré, mais voilà, je dois changer de carrière. Je sens alors un besoin de coupure avec ce métier que j’aime tant, un besoin de repos et de stabilité. J’ai besoin de nature, et surtout d’eau. Je songe à faire le cours de protection et exploitation des territoires fauniques. Je jette alors un oeil sur mon aquarium, qui me calme tant. Et si j’allais faire ça? Si j’allais travailler avec les poissons et les crustacés? Si je devenais aquariste?
Quelques minutes plus tard je pleure devant mon écran d’ordinateur en lisant la description des cours d’aquaculture de l’école des pêches et de l’aquaculture du Québec.
En avril, j’ai été acceptée en technique d’aquaculture à l’ÉPAQ, et je commence en septembre. Weeeeh!”
Véro a créé une campagne de financement sur gofundme.com dans le but d’amasser les fonds nécessaires pour son déménagement de Montréal à Grande-Rivière. Votre coup de main lui permettra de changer de cap et d’aller vers sa nouvelle vie.
Aimeriez-vous que je publie un post sur l’histoire d’un tableau en particulier ? Écrivez-moi !
J’adore ton idée de blog. Très touchant cette histoire. Ça dois rejoindre plusieurs artistes puisqu’il est malheureusement très représentatif de la réalité d’une grande majorité d’artistes.
C’est déchirant de vouloir vivre sa vocation et que ce soit si exigeant d’y arriver. Il faut metre tant de choses de côté, jusque sa santé physique et mentale. Quand en plus tu es parent, ça rajoute un énorme poid sur la conscience par les obligations essentiels qui ne te permettent pas de te contenter de vivre la boème.
Très belle oeuvre Julie!
Merci beaucoup Céline ! J’essaie autant que possible de recueillir les témoignages de chaque modèle pour cette série. Non seulement ça ajoute une dimension au tableau, mais je trouve important de parler de l’expérience de chaque personne.